Point histoire

Publié le par le petit Maxime

    L'histoire n'est pas exclusivement une chronologie d'événements, la connaissance des jeux sociaux, de l'économie ou l’épopée de quelques uns ; elle est aussi l'histoire des hommes, de leur cadre de vie, de leurs institutions, de leurs Dieux. Il est clair qu’on ne pense pas le monde identiquement avant et après Saint Augustin, Saint Thomas, Copernic, Newton, Lavoisier, Galilée, les encyclopédistes, Karl Marx, Einstein… Mais il ne s’agit pas de lire l'histoire en l'enfermant dans une logique idéologique. C’est l’erreur de Karl Marx, qui a fait une bonne analyse de la logique capitaliste mais a enfermé l'histoire sociale dans une doctrine totalisante. De même, Jacques Bainville a fait une bonne analyse de la logique diplomatique européenne, mais a enfermé l'histoire dans une logique qui répondait uniquement à son époque. Ils ont tous deux cherché dans l'histoire ce qui justifiait leur conception de l’homme idéal. Leurs analyses ne sont pas fausses pour autant : elles parti-cipent de notre héritage, et donc de la manière dont nous allons façonner notre temps. De même, l'ethnologie, la sociologie et la psychologie, introduites dans l’univers historique par l’ «école des Annales», participent de notre compréhension du monde. L'histoire n'est pas une science objective, et connaître la chronologie historique n'est jamais connaître l'histoire.

    L’histoire des sciences nous éclaire sur ce point. La vulgate l’appelle le progrès, et cette notion mérite quelques explications : si aujourd'hui le progrès est devenu une mystique, il n'empêche qu'il y a du changement bien avant. Nous connaissons malheureusement peu les temps reculés. Ainsi il ne nous reste que quelques traces de l'histoire des Babyloniens, des Hittites, des indiens, des chinois ou des égyptiens… et pourtant, de ces traces nous avons déduit toute leur civilisation! Notre manque d'information nous conduit parfois à une mauvaise compréhension du temps et de la nature du pouvoir.

    Mon détour par la science va s'appuyer sur le travail de Thomas S. Kuhn, physicien, philosophe et historien des sciences, auteur de La structure des révolutions scientifiques. Selon lui, il n'y a pas de découverte qui ne soit en opposition avec ce qu'il appelle le paradigme du temps. Comme le faisait la philosophie platonicienne, il nomme paradigme le monde des idées avec lequel nous pensons au présent. Il y a des paradigmes à chaque instant de l’histoire des sciences : par exemple, croire que la terre est plate est un paradigme qui donne une compréhension de l'espace aux hommes des temps anciens, et penser une terre ronde au sein d’un univers complexe demandait un changement des mentalités, un changement de paradigmes. On ne peut donc pas reprocher aux hommes anciens d'avoir leur conception de la pollution différente de la nôtre, ni même savoir ce que nos enfants penseront de nos paradigmes. Pour en changer, il faut que les observations contredisent la théorie initiale. Il faut aussi qu'il y ait des hommes qui remettent en cause, soit par l'observation, soit par la réflexion, le paradigme. Le conservateur, c’est celui qui refuse de mettre en cause le paradigme présent. Mais attention, l'action révolutionnaire n'est pas de choisir la révolution pour la révolution, mais de construire la situation qui permettra de détruire le paradigme présent pour en construire un autre.

Nous pourrions faire la liste des révolutions de l'histoire des hommes. Encore faudrait-il que l'on saisisse ce qui différencie l'évolution, même avec ses soubresauts,
de la révolution.

    Prenons pour exemple la révolution de 1789. Une évolution était souhaitée et initiée par le Roi qui était loin de s’imaginer que la bourgeoisie, guidée par un nouveau paradigme, en ferait une révolution: la bourgeoisie ne pense plus le pouvoir du prince comme celui d’un chef dirigeant les évolutions. Il est pourtant absurde de parler de conservatisme royal. Tout au long de la monarchie, chaque roi participe lui-même du paradigme de son temps, tout en le faisant évoluer. Contre les conservateurs, la noblesse, le clergé et le tiers état, la royauté française n'a cessée de construire sa souveraineté. Pour lire l'histoire, il faut abandonner toute idéologie et tenter de comprendre ce qui permet, à chaque époque, de reconstruire le pouvoir du Roi.

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F
très intéressant. je suis moi-même un adepte de TS Kuhn, et son excellent livre sur l'histoire des sciences.
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